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Mémoires du quartier Popincourt 

Mémoires du Quartier Popincourt. A la découverte de la mémoire industrielle, manufacturière et ouvrière du Quartier Popincourt

L’association ASQP a organisé du 31 janvier au 31 mars 2023 une exposition sur la mémoire ouvrière et industrielle du quartier Sedaine-Popincourt. Conçu à partir de témoignages d’habitants, de documents iconographiques et d’archives patrimoniales et personnelles, ce projet a aussi proposé des visites commentées, des visites pédagogiques pour les scolaires, des balades patrimoniales et un livret qui a été dévoilé le 31 janvier à 19h à la Mairie du 11ème au cours de la soirée de lancement de l’exposition.

Des mémoires pour le futur

L’association Agir Solidairement pour le Quartier Popincourt réunit depuis 1995 des habitants et des professionnels du quartier allant de l’église Saint-Ambroise à la place de la Bastille, en passant par la rue Sedaine et la rue Popincourt, dans le 11e arrondissement.

Par sa présence et ses initiatives, notre association a accompagné activement les transformations sociales et économiques de ce quartier qui a connu plusieurs ruptures, avec la disparition progressive des activités manufacturières et des commerces, le développement puis le reflux de la mono-activité textile, la transformation de l’Îlot Bréguet, et enfin l’émergence de nouvelles activités économiques et le retour du commerce de proximité.

Pour accompagner cette évolution, nous avons eu envie de ressusciter la mémoire industrielle, manufacturière et ouvrière du quartier Popincourt dans le cadre d’une exposition documentaire, comme nous avions interrogé en 2011 la richesse de son apport migratoire avec les soirées « Popincourt d’ici et d’ailleurs ».

Le Quartier Popincourt a toujours été un lieu d’accueil des inventeurs, des entrepreneurs et industriels innovants. Il a vu l’émergence de plusieurs marques renommées telles que Testut ou Pierrot Gourmand, mais également de marques ou d’industries aujourd’hui oubliées, qui furent à l’origine de belles histoires économiques et créèrent de nombreux emplois.

A travers cette exposition, nous vous invitons à tisser un lien entre les mémoires de notre passé et le futur de notre quartier, et à faire, vous aussi, partie de cette histoire.

Martine Cohen, présidente de l’association Agir solidairement pour le quartier Popincourt

Delphine Goater, secrétaire générale de l’ASQP et porteuse du projet


A la découverte de la mémoire industrielle et ouvrière du quartier Popincourt

Un peu d’histoire…

Où se situe le quartier Popincourt ? De quand date-t-il ?

Le quartier Popincourt forme le centre le plus ancien du 11e arrondissement, que l’on désignait autrefois arrondissement Popincourt. Sur le célèbre plan de Truschet et Hoyau, dessiné au 16ème siècle, on aperçoit quelques maisons qui formaient un village à Popincourt. A cette époque, c’était le jardin potager de Paris. On y cultivait en effet fruits et légumes sur des terres administrées par des congrégations religieuses.

« La voie d’autrefois, d’abord sentier perdu loin de la ville, ensuite chemin à travers les cultures maraîchères, […] était aussi gaie, aussi champêtre, aussi jolie, que celle de nos jours est laide et noire avec ses grandes maisons populeuses et ses usines fumantes. Le travail implacable a transformé tout ce faubourg parisien en moins d’un siècle ! » Journal d’un bourgeois de Popincourt : Lefebvre de Beauvray, avocat au Parlement, 1784-1787, Edition H. Vial et G. Capon, 1902, BNF/Gallica.

Le premier faubourg industriel de Paris en 1789

Au milieu du 18ème siècle, le quartier prend un tournant artisanal en s’orientant vers la fabrication de porcelaine tendre, rue de la Roquette, puis s’anime autour des ferronneries, métalleries ou menuiseries qui s’installent nombreuses dans le quartier. En 1789, le quartier Popincourt est le premier faubourg industriel de la capitale. Cette vocation industrielle se poursuivra tout au long du 19ème siècle et une partie du 20ème siècle.

« Au milieu des masures, des chantiers, des cours immenses, se dressent comme des colonnes monumentales, les cheminées rondes des usines. Des milliers de travailleurs alertes mettent chaque jour en mouvement, dans le 11ème arrondissement, toutes les machines sorties toutes armées du cerveau des savants modernes. » Emile de la Bédollière, Le Nouveau Paris, 1860.

Une vocation textile jusqu’à nos jours, ou presque…

Au début du 20ème siècle, le textile est aussi de la partie, accueillant tour à tour de la bonneterie, des merciers, des marchands de drap ou de linge de maison venus d’Istanbul, puis des grossistes en prêt-à-porter, venus d’Asie. Aujourd’hui, alors que les grossistes déménagent dans des entrepôts de proche banlieue et que de nouvelles activités économiques autour de la communication, des professions indépendantes ou du commerce de bouche et de proximité surgissent dans le quartier, nous souhaitions documenter cette histoire économique, ouvrière et industrielle du quartier Popincourt.

Testut

Les premières balances Testut datent de 1821 et servent à peser le tabac, suite au monopole d’Etat de 1810. Testut innove en créant une balance qui fonctionne avec une tige horizontale au lieu d’un système à chaînettes. L’entreprise familiale s’agrandit, implante des usines sur tout le territoire français et produit des balances d’épicerie, de précision, industrielles, des pèse-personnes, des machines à trancher les viandes. Le 8 rue Popincourt reste le siège administratif et l’atelier de réparation. Racheté par Bernard Tapie en 1983, Testut est mis en liquidation en 2003.

Publicité des balances Testut, carte postale, s.d., Coll. ASQP.

Augustin Avrial, syndicaliste, communard et inventeur de la machine à coudre

Augustin Avrial, forgeron, arrive à Paris en 1857. Il s’installe dans le 11e arrondissement, où il épouse l’ouvrière Louise Talbot. Mécanicien, il est l’un des fondateurs de la Chambre syndicale des ouvriers mécaniciens et adhère en 1869 à l’Internationale ouvrière.

Lorsque la Commune éclate, le 18 mars 1871, Augustin Avrial est à la tête du 66e bataillon de la Garde nationale, et organise la défense du 11e en construisant des barricades. Élu au Conseil de la Commune par le 11e arrondissement, il réquisitionne les entreprises abandonnées par leurs patrons et les transforme en ateliers coopératifs et organise la défense de la place du Château d’Eau (place de la République) pendant la Semaine sanglante, du 21 au 28 mai 1871.

Exilé, il revient en France après l’amnistie de 1880. Il se consacre alors à des inventions mécaniques, notamment une « couseuse pneumatique » et un « motocycle à pétrole ». Il fonde la Compagnie française des Machines à Coudre, qui produit la « machine Avrial ». Son tricycle à pétrole, surnommé le « triporteur Avrial », est présenté au Salon de l’Automobile de 1901.

« La révolution de la machine à coudre », affiche publicitaire de la machine à coudre Avrial, lithographie en couleur, 1895, 130 x 93 cm BNF/Gallica.
Barricade du passage Raoul, Boulevard Richard-Lenoir, 18 mars 1871, tirage sur papier albuminé. Wikimedia.

Manda poignardant Leca sous les yeux de Casque d’Or, scène reconstituée, s.d., CCØ.

Casque d’Or, lingère, courtisane et reine des Apaches

Au tournant du XXe siècle, le quartier Popincourt est l’un des quartiers les plus mal famés de Paris, aux rues étroites et aux taudis insalubres. Des bandes s’affrontent, que la presse va surnommer les « Apaches », pour souligner leur sauvagerie : prostitution, racket, meurtres, affrontements entre gangs rivaux…

Casque d’Or, Amélie Elie de son vrai nom (1878-1933), habitait avec ses parents, impasse des Trois Sœurs, où se trouvait un célèbre lavoir du quartier. Comme beaucoup de jeunes filles du quartier, Amélie quitte le foyer familial à l’âge de 14 ans pour rejoindre le Paris des mauvais garçons et de la prostitution.

En 1898 elle rencontre Joseph Pleigneur, dit Manda, chef de la bande des Orteaux, qu’elle quitte quatre ans après pour se lier avec un membre de la bande des Popinc’, Dominique Leca. Les affrontements entre les deux bandes pour la belle Amélie seront à l’origine de l’un des feuilletons médiatiques les plus passionnants de la période. Le mythe de Casque d’Or est né… Après des semaines de duels sanglants, les deux hommes sont arrêtés et condamnés à des peines de prison. La Première Guerre mondiale va mettre fin au phénomène des Apaches. En 1917, Casque d’Or épouse un ébéniste et commence à travailler comme bonnetière. Elle meurt en 1933 dans l’anonymat.

CITATION : « Tout d’un coup, le hangar s’emplit d’une buée blanche ; l’énorme couvercle du cuvier où bouillait la lessive, montait mécaniquement le long d’une tige centrale à crémaillère ; et le trou béant du cuivre, au fond de sa maçonnerie de briques, exhalait des tourbillons de vapeur, d’une saveur sucrée de potasse. Cependant, à côté, les essoreuses fonctionnaient ; des paquets de linge, dans des cylindres de fonte, rendaient leur eau sous un tour de roue de la machine, haletante, fumante, secouant plus rudement le lavoir de la besogne continue de ses bras d’acier. »

Emile Zola, L’Assommoir, 1877.

Sandro Madjar, figure du Petit Istanbul et entrepreneur du textile

Un microcosme du textile se développe dans l’entre-deux-guerres dans le quartier : les fabricants et les grossistes fournissent les commerces de détail à proximité et les marchands ambulants. Ces derniers vendent sur les marchés parisiens, en banlieue et en province. Ce sont souvent des nouveaux immigrés qui achètent à crédit un « ballot » de linge de maison à revendre.

L’un de ces fabricants est Santo Madjar, originaire de Turquie. Son atelier de confection se trouve au 23 bis passage Charles Dallery. Il vend linge de maison, lingerie, bonneterie, tabliers et confections à des commerces et des marchands ambulants ; des marchandises qui complètent l’offre du proche Sentier. Les ouvrières sont surtout des femmes de la communauté judéo-espagnole, souvent fraîchement arrivées. Elles travaillent sur place ou chez elles, s’occupant en même temps des enfants et du ménage.

Ancienne porte menant à la synagogue au 7 rue Popincourt

Par ailleurs, Santo Madjar met à disposition gratuitement, au 25 passage Charles Dallery, le local du Talmud Torah de la synagogue du 7 rue Popincourt (Al Syete) et finance, pendant l’Occupation, une cantine populaire pour les membres de la communauté ayant perdu leurs moyens de subsistance à la suite des lois antisémites de Vichy. Réfugiés dans le Sud de la France, Santo et sa femme Dora échappent aux déportations.

Citation : « Mon père travaillait très dur : le samedi et le dimanche matin, il se levait très tôt pour aller prendre le train jusqu’à Beauvais où il faisait les marchés pour y vendre la confection achetée passage Dallery chez Santo Madjar. »

Témoignage de Robert Mitrani, association Al Syete, www.esefarad.com


Intérieur du restaurant L’Istanbul, 17 rue Popincourt. De gauche à droite : Conorte Behar, Monsieur Hadjes, Mademoiselle Lucienne., 1945, Coll. Mémorial de la Shoah, MJP7_28.
« Chez Behar » devient « L’Istanbul » après la guerre.Le café était tenu par et pour des anciens Stambouliotes.

Le Petit Istanbul

Les premiers Juifs de Turquie arrivent à Paris à partir de la fin du XIXe siècle en raison du déclin de l’empire Ottoman. La France est à leurs yeux la patrie des droits de l’homme et de l’émancipation des Juifs alors que beaucoup d’entre eux avaient fréquenté les écoles francophones de l’Alliance Israélite Universelle d’Istanbul.  De nombreux hommes arrivés à cette époque se portent volontaires pour combattre dans les rangs de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale.

Pendant le conflit, en outre, les minorités des empires ennemis avaient obtenu la protection juridique de la part des grandes puissances : ainsi, grâce au statut d’« Israélite du Levant », une nouvelle génération d’immigrés arrive à Paris au début des années 1920.

Le quartier est souvent le premier lieu d’arrivée, notamment pour les familles les moins aisées. Progressivement, un système d’entraide se met en place, les nouveaux arrivants accèdent au travail et au logement grâce à ce réseau. En 1936, près de 2 600 Juifs d’Orient habitent le quartier de la Roquette qui commence à être connu comme « l’îlot oriental », « le petit Istanbul », « la petite Turquie » ou « la Turquerie ».

CITATION : “Ce quartier, c’était sa vie. Quatre petites artères où son cœur battait en paix : la rue Popincourt, la rue Basfroi, la rue de la Roquette, la rue Sedaine. Un quadrilatère blotti près de la place Voltaire. Ce « Petit Istanbul », comme aimaient à répéter ses parents, ne dormait jamais vraiment avec ses airs d’accordéon, ses crieurs de journaux, ses apostrophes incessantes d’une maison à l’autre. Tout un petit peuple vivait là, composé de chaisiers, de tapissiers, d’ouvriers ébénistes, de polisseurs de glace. On se bousculait sur les trottoirs étroits, on se claquait la bise. »

Ariane Bois, Le monde d’Hannah, Robert Laffont, 2011.

Affiche, ca. 1900, « Char Nautique », lithographie Sicard et Farradesche (rue Amelot), BNF/Gallica.
Cette entreprise fabriquait des bicyclettes et des vélos montés sur des bateaux nommés vélocipèdes.

On trouve tout à Popincourt !

Comment expliquer la diversité et le foisonnement des métiers, des ateliers, des manufactures, des grossistes dans le quartier Popincourt ?

Dès 1471, de nombreux corps de métiers se sont installés autour du Faubourg Saint-Antoine, qui, étant en dehors des enceintes de Paris, jouissait de privilèges fiscaux et juridiques, et de la liberté de s’affranchir des réglementations des corporations. Les « sous-traitants » de l’industrie du meuble s’installent dans les cours et ateliers bon marché de Popincourt, tout comme des fonderies et d’autres manufactures. La présence de main d’œuvre, de terrains, attire aussi les inventeurs, les pionniers.

La proximité de la Seine, puis du Canal Saint-Martin, ainsi que de la route stratégique vers l’Est facilitent l’approvisionnement en bois et métaux et le transport des marchandises finies.

Traditionnellement, on venait dans le quartier pour l’outillage, mais aussi pour les appareils d’éclairage.


Au début du 20ème siècle, l’activité autour du textile se développe dans le quartier Popincourt, qui accueille tour à tour des bonnetiers, des merciers, des marchands de drap ou de linge de maison venus d’Istanbul. Une partie de la communauté judéo-espagnole n’est pas revenue des camps et les rescapés du quartier reprennent la tradition du textile après la guerre. Des ateliers de confection rouvrent et, avec l’avènement du prêt-à-porter, d’autres se reconvertissent dans la vente en gros de vêtements.

Cette activité persiste après la crise économique des années 1970, qui voit le quartier décliner du fait de la délocalisation des usines en dehors de Paris et de la disparition progressive de l’artisanat. Lorsque beaucoup d’entrepreneurs juifs ou arméniens partent à la retraite, à partir de la fin des années 1980, une autre génération d’immigrés prend le relais en rachetant les anciens ateliers et boutiques : des réfugiés cambodgiens, puis des Chinois de la région de Wenzhou. Les rues Sedaine et Popincourt se transforment en véritable pôle commercial du prêt-à-porter bon marché, attirant des détaillants internationaux. En 2003, plus de 600 magasins de gros s’y étaient installés.

De la monoactivité textile à une nouvelle diversité commerciale

Aujourd’hui, alors que les grossistes ont déménagé dans des entrepôts de proche banlieue, des entrepreneurs jeunes ou en reconversion reprennent les locaux devenus vacants pour y créer de nouvelles activités commerciales. On assiste depuis quelques années au développement des activités tertiaires (communication, design, architecture) ainsi qu’au retour des commerces de proximité : épiceries, pâtisseries, bars et restaurants, boulangeries…

Devanture angle de la rue Popincourt et de la rue du Chemin Vert, 2011MHR11_117500228NUCA.

Jamais le Village Popincourt n’a aussi bien porté son nom. Ce sont aujourd’hui des commerces de proximité qui sont aussi des lieux de vie, ancrés dans leur quartier, en lien avec les habitants et les acteurs économiques alentours.

Cette « boulangerie française et viennoise » a été ouverte vers 1900. Elle a été aménagée par l’atelier des décorateurs Benoist et Fils. Le site est inscrit à l’inventaire des monuments historiques en 1992. En 2000, la fermeture de cette boulangerie et sa transformation en commerce de textile de gros ont suscité une certaine émotion et alimenté la protestation contre l’extension du commerce textile de gros dans le quartier. Dès cette époque, l’ASQP était le fer de lance de la mobilisation pour la diversification commerciale.


Patisserie Emma Duvéré.


Crédits et remerciements

Commissariat et recherches : Past/Not Past (Bruna Lo Biundo et Sandra Nagel)

Recherches et texte sur la Commune de Paris, Augustin Avrial et l’école Popincourt : Michel Puzelat, historien du 11ème arrondissement, administrateur de l’ASQP

Graphisme : Distilled Art (Damien Morel Darleux)

Réalisation et montage de la vidéo : Bianca Conti Rossini. Mixage : Jean-Wendy Hyacinthe

Réalisation du podcast : Aude-Emilie Judaïque. Musiques : Sandra Bessis, Léo Mallet.

Production : ASQP. Partenariat : Al Syete, Mairie de Paris, MPAA.

Nous tenons à remercier l’association Al Syete, centre culturel judéo-espagnol, et le Centre Culturel Popincourt-Al Syete, le Mémorial de la Shoah ainsi que les habitants du quartier qui ont généreusement partagé leurs témoignages et leurs documents : François Carré, Martine Cohen, Emma Duvéré, la famille Hu, Michel Puzelat, Claire Romi, Nicolas Roth, Philippe Thuillier, Ouri Weber.

À la mémoire de Nicolas Roth, survivant de la Shoah, habitant du 11e, qui a si généreusement partagé ses souvenirs avant son décès en septembre 2020.